L’esprit est une chose extraordinaire ; il contient le cerveau, la pensée, le sentiment et la plus subtile émotion, l’imagination, la fantaisie... Il n’est pas la somme de tous ces éléments et pourtant sans eux, il n’existe pas ; il est davantage que son contenu. Sans l’esprit, les éléments du contenu ne seraient pas non plus ; c’est par lui qu’ils existent. Dans le vide total de l’esprit, l’intellect, la pensée, le sentiment et toute la conscience ont leur existence.
Un arbre n’est pas le mot qui le décrit, non plus que la feuille, la branche ou les racines ; il est la totalité de ces choses et n’est pourtant aucune d’entre elles. L’esprit est ce vide au sein duquel les choses peuvent exister, mais celles-ci ne sont pas l’esprit. Par ce vide naissent l’espace, le temps. Mais le cerveau et ses attributs recouvrent le champ entier de l’existence ; le cerveau est préoccupé par ses multiples problèmes, la nature de l’esprit lui échappe, car lui-même ne fonctionne que de façon fragmentaire et les fragments, même nombreux, ne forment pas le tout. Et pourtant, il s’emploie à assembler les fragments contradictoires en vue de constituer le tout. Le tout ne pourra jamais être l’objet d’un assemblage.
Carnets. Page 154. Le 13 septembre 1961. Editions du Rocher. 1988