L’aptitude suscite la vanité, l’envie, et son accomplissement devenant primordial, elle engendre l’inimitié, le désordre, la souffrance ; elle n’a de valeur que dans une conscience totale de l’existence. La vie ne se limite pas au niveau fragmenté que sont le domaine alimentaire, celui du sexe, de la prospérité ou de l’ambition ; la vie n’est pas fragmentaire ; quand elle le devient, elle se transforme en désespoir absolu, en souffrance sans fin.
Le cerveau fonctionne en se spécialisant dans la fragmentation, dans des activités qui l’isolent dans le champ limité du temps. Il est incapable de voir la totalité de la vie ; aussi éduqué soit-il, le cerveau n’est qu’une partie et non l’ensemble. Seul l’esprit voit la totalité et dans son domaine est inclus le cerveau ; celui-ci, quoiqu’il fasse, ne peut contenir l’esprit.
Pour voir totalement, le cerveau doit se trouver en état de négation. La négation n’est pas l’opposé de l’affirmation ; tous les opposés sont reliés entre eux. La négation n’a pas d’opposé.
Pour que la vision soit totale, il faut que le cerveau soit en état de négation absolue ; il ne doit pas intervenir par ses évaluations, justifications, condamnations et défenses. Il faut qu’il soit silence, sans aucune contrainte, laquelle ferait de lui un cerveau mort, uniquement capable d’imiter et de se conformer.
C’est en état de négation qu’il se trouve dans une immobilité sans choix. C’est alors seulement que se produit la vision totale. L’esprit est alors pleinement éveillé et cet état ne comporte ni observateur ni observé, mais seulement lumière, clarté. La contradiction et le conflit entre penseur et pensée prennent fin.
Carnets. Pages 192 et 193. Le 25 septembre 1961. Editions du Rocher. 1976.