Que veut dire honnêteté ? Peut-il y avoir de l’honnêteté - c’est-à-dire une perception claire des choses, une vision des choses telles qu’elles sont - lorsqu’on met en jeu un principe, un idéal, une formule exaltée ? La rigueur est-elle possible dans la confusion ? La beauté peut-elle se trouver là où l’on s’appuie sur un critère de beauté ou de rectitude ? Lorsqu’existe cette division entre ce qui est et ce qui devrait être, peut-on être honnête - ou n’y a-t-il qu’une édifiante et respectable malhonnêteté ?
Notre éducation nous a appris à vivre entre ce qui est actuel et ce qui pourrait être. Dans leur intervalle - l’intervalle du temps et de l’espace - se situent toute notre éducation, notre moralité, nos luttes. Nous accordons à l’actuel un regard distrait et nous projetons vers l’hypothétique un regard peureux ou un regard d’espérance. Et peut-il y avoir de l’honnêteté, de la sincérité dans cet état, que la société appelle éducation ? Lorsque nous disons que nous sommes malhonnêtes, ce que nous voulons dire essentiellement c’est que nous comparons ce que nous avons dit à ce qui est. Nous avons dit ce que nous ne pensions pas, peut-être pour rassurer quelqu’un provisoirement ou parce que nous étions nerveux ou timides, ou parce que nous avons eu honte de révéler quelque chose qui, en fait, est. Ainsi, une appréhension nerveuse ou la peur nous rendent malhonnêtes. Lorsque nous sommes en quête de succès, nous devons être quelque peu malhonnêtes, entrer dans le jeu de l’autre, ruser, tromper pour parvenir à nos fins. Ou encore, nous sommes en position d’autorité, nous avons une situation que nous voulons défendre. Ainsi toute résistance, toute défense sont des formes de malhonnêteté. Etre honnête veut dire n’avoir pas d’illusions à votre sujet et n’avoir même pas le germe des illusions - qui est le désir et le plaisir.
J. Krishnamurti
La révolution du silence
Europe, Chapitre 19 (p. 215)