Krishnamurti : Ainsi que nous l’avons dit, l’être humain qui a traversé toutes les embûches de la vie, tant d’ordre physique que psychologique, et qui a pleinement saisi combien il est important de s’affranchir des souvenirs, des conflits et des épreuves d’ordre psychologique, en arrive au point où son esprit se trouve libre, mais sans avoir pour autant rassemblé l’énergie suffisante pour aller au-delà de lui-même. L’esprit, le cerveau, l’ensemble des structures mentales peuvent-ils jamais être affranchis de tout conflit, de toute perturbation, si infime soit-elle ? Ou, au contraire, la notion de liberté absolue n’est-elle qu’une illusion ?
David Bohm : C’est une des éventualités envisageables. Certains diraient dans ce cas qu’une liberté partielle est possible.
K : Ou bien la condition humaine est-elle déterminée par le passé, par son propre conditionnement, au point qu’il lui soit impossible de s’en libérer, comme l’ont affirmé certains philosophes ?
Il s’est trouvé quelques individus, religieux sans être sectaires, totalement libres par rapport à toute espèce de religion instituée, de croyance, de rituel ou de dogme, pour affirmer que la chose est possible, mais rares sont ceux qui ont dit cela. D’autres disent que c’est un lent processus, qu’il faut passer par plusieurs existences, par des épreuves et des souffrances de toutes sortes avant de toucher au but. Or, nous, nous ne pensons pas en terme de temps. Nous voulons savoir si l’être humain - sachant que par principe il est soumis à un conditionnement si profond, si fondamental que tout son être en est pétri - pourra jamais se libérer. Et, s’il est capable de toucher au but, qu’y a-t-il au-delà ? Telle est la question que nous nous apprêtions à aborder.
Les limites de la pensée. Dialogues avec David Bohm. Pages 200 et 201. Chapître 7, l’intelligence de l’amour. Editions Stock.1999