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Pourquoi votre enseignement est-il si purement psychologique ?



Question : Pourquoi votre enseignement est-il si purement psychologique ? Il ne comporte ni cosmologie, ni théologie, ni éthique, ni esthétique, ni sociologie, ni science politique et pas même de l’hygiène. Pourquoi vous concentrez-vous seulement sur l’esprit et ses activités ?

K : Pour une raison très simple Monsieur. Si le penseur peut se comprendre lui-même, tout le problème est résolu, car alors l’homme est création, il est réalité, et ce qu’il fait n’est pas antisocial. La vertu n’est pas une fin en soi ; la vertu engendre la liberté, et il ne peut y avoir de liberté que lorsque le penseur, qui est l’esprit, cesse. Voilà pourquoi l’on doit connaître le processus de l’esprit, le « je », le paquet de désirs qui crée le « je » : ma propriété, ma femme, mes idées, mon Dieu. Il est certain que c’est parce que le penseur est dans un tel état de confusion que ses actions sont désordonnées ; c’est parce que le penseur est dans la confusion qu’il recherche la réalité, l’ordre, la paix. Parce que le penseur est troublé, ignorant, il veut la connaissance ; et parce que le penseur est en contradiction, en conflit, il poursuit une éthique qui le disciplinera, qui le guidera, qui le soutiendra. Si je puis me comprendre moi-même, le penseur, tout le problème est résolu, ne l’est-il pas ? Alors je ne serai pas antisocial, je ne serai pas riche et n’exploiterai pas les pauvres, je ne voudrai pas des choses, des choses, des choses, ce qui provoque un conflit entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Alors je n’aurai pas de caste, pas de nationalité, il n’y aura pas de séparation entre l’homme et l’homme. Alors nous nous aimerons les uns les autres, nous serons plein de charité. Ce qui est important, donc, ce n’est pas la cosmologie, pas la théologie, pas l’hygiène - bien que l’hygiène soit nécessaire et que la cosmologie et la théologie ne le soient pas - mais ce qui est important, c’est de me comprendre moi-même, le penseur.

Or, le penseur est-il différent de ses pensées ? Si la pensée cesse, y a-t-il un penseur ? La qualité peut-elle être détachée du penseur ? Lorsque les qualités du penseur sont retirées, y a-t-il le penseur, le « je » ? Donc les pensées elles-mêmes sont le penseur, elles n’en sont pas séparées. Le penseur s’est séparé de ses pensées afin de se sauvegarder ; il peut alors, toujours, modifier ses pensées selon les circonstances et pourtant demeurer en dehors et au-dessus, en tant que penseur. Dès l’instant qu’il commence à modifier le penseur, le penseur cesse. C’est un des stratagèmes de la pensée de séparer le penseur de ses pensées, et ensuite de s’intéresser vivement aux pensées, à comment les changer, comment les modifier, comment les transformer - tout cela étant une aberration, une illusion. Car le penseur n’est pas, si la pensée n’est pas, et une simple modification de la pensée n’élimine pas le penseur. C’est là un des moyens très habiles qu’a le penseur de se protéger, de se conférer une permanence, tandis que les pensées sont transitoires. Ainsi le soi est perpétué ; mais le soi n’est pas permanent : ni le soi supérieur ni le soi inférieur. Ils sont encore, l’un et l’autre, dans le champ de la mémoire, dans le champ du temps.

Krishnamurti, à Bombay (en Inde) en 1948.
8 Tiré de : « De la Connaissance de Soi », Le Courrier du Livre, 1967 - p.143



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