Il y a tant à faire dans ce monde, détruire la misère, vivre heureux, vivre dans la félicité au lieu du tourment et de la peur, construire une société d’un genre entièrement différent, une moralité qui soit au-dessus de toute moralité. Mais ceci ne peut être accompli que quand la moralité de la société actuelle est complètement rejetée. Il y a tant à faire et cela ne peut pas être fait tant que ce processus constant d’isolement se poursuit. Nous parlons du « moi » et du « mien », et de « l’autre » - l’autre est de l’autre côté du mur, le moi et le mien sont de ce côté-ci. Alors comment cette essence de résistance, qui est le moi, comment peut-elle lâcher prise complètement ? Parce que c’est là véritablement la question la plus fondamentale dans tous nos rapports. Nous avons vu que les contacts entre les images n’en sont pas véritablement. Quand ce genre de rapports existe il y a forcément conflit, inévitablement nous nous sautons à la gorge les uns des autres.
Si vous vous posez cette question, vous direz : « Faut-il que je vive dans un vide, dans un état de vacuité ? » Je me demande si jamais vous avez su ce que c’est d’avoir l’esprit complètement vide. Vous avez toujours vécu dans un espace engendré par le « moi » (un espace très restreint). Cet espace que le « Je », ce processus d’auto-isolement, a créé entre un être humain et un autre, c’est le seul espace que nous connaissions - celui qui s’étend entre soi-même, le centre et la circonférence - la frontière construite par la pensée. C’est dans cet espace que nous vivons, et dans cet espace il y a toujours division. Vous vous dites : « Si je me laisse aller, si je renonce, si j’abandonne ce “moi”, je vivrai dans le vide. » Mais avez-vous jamais lâché prise du “moi”, l’avez-vous fait vraiment, au point qu’il n’existe plus de moi du tout ?
J. Krishnamurti
Au seuil du silence
Paris, 1968 : Quatrième entretien (p. 50-51)