L’intelligence et la capacité de l’intellect sont deux choses entièrement différentes. Ces deux mots ont peut être la même racine, mais afin d’éclaircir la pleine signification de ce qu’est la compassion, nous devons être capable de saisir la différence de sens entre les deux. L’intellect est la capacité de discerner, de raisonner, d’imaginer, de créer des illusions, de penser clairement et aussi de penser de manière non-objective, personnelle. On considère généralement que l’intellect est différent de l’émotion, mais nous utilisons le mot intellect pour exprimer la totalité de la capacité humaine de penser. La pensée est la réaction de la mémoire accumulée au cours de diverses expériences, réelles ou imaginaires, qui sont emmagasinées dans le cerveau sous la forme de savoir. Donc la capacité de l’intellect est de penser. La pensée est limitée en toutes circonstances et lorsque l’intellect régente nos activités, dans le monde extérieur comme dans le monde intérieur, nos actions sont forcément partielles, incomplètes, d’où le regret, l’anxiété et la souffrance.
Toutes les théories et les idéologies sont, en elles-mêmes, partielles et lorsque les hommes de sciences, les techniciens et les prétendus philosophes dominent notre société, notre morale - et ainsi notre vie quotidienne - nous ne sommes jamais confrontés aux réalités de ce qui se passe vraiment. Ces influences colorent nos perceptions, notre compréhension directe. C’est l’intellect qui trouve des explications à nos actes bons et mauvais. Il rationalise nos mauvais comportements, le meurtre et la guerre. Il définit le bon, le bien comme étant l’opposé du mauvais, le mal. Le bien n’a pas d’opposé. Si le bien avait un lien avec le mauvais, le mal, alors le bien aurait en lui les germes du mal. Donc, ce ne serait pas le Bien. Mais du fait de sa capacité de diviser, l’intellect est incapable de comprendre la plénitude du bien. L’intellect - la pensée - sans cesse compare, évalue, concurrence, imite ; ainsi, nous devenons des êtres humains conformistes, de seconde main. L’intellect a apporté à l’humanité des avantages énormes, mais aussi une grande destruction, il a cultivé les arts de la guerre, mais il est incapable de faire tomber les barrières entres les êtres humains. L’anxiété fait partie de la nature de l’intellect, de même que la souffrance, car l’intellect, qui est la pensée, crée l’image qui peut être blessée.
Lorsqu’on comprend toute la nature et le mouvement de l’intellect et de la pensée, on peut commencer à examiner ce qu’est l’intelligence. L’intelligence est la capacité de percevoir la totalité. Elle est incapable de séparer les uns des autres les sentiments, les émotions et l’intellect. Pour elle, c’est un mouvement unitaire. Comme sa perception est toujours globale, elle est incapable de séparer l’homme de l’homme ou de dresser l’homme contre la nature. L’intelligence étant de par sa nature même la totalité, elle est incapable de tuer...
Si ne pas tuer est un concept, un idéal, ce n’est pas l’intelligence. Lorsque, dans notre vie quotidienne, l’intelligence est active, elle nous dira quand il faut coopérer et quand il ne le faut pas. La nature même de l’intelligence est la sensibilité et cette sensibilité, c’est l’amour.
Sans cette intelligence, il ne peut y avoir de compassion. La compassion, ce n’est pas faire des actes charitables ou des réformes sociales ; elle est libre de sentiment, de romantisme et d’enthousiasme émotionnel. Elle est aussi forte que la mort. Elle est comme un grand rocher immuable au milieu de la confusion, de la misère et de l’anxiété. Sans cette compassion, il ne peut naître aucune civilisation, aucune société nouvelles. Compassion et intelligence vont de pair, elles ne sont pas séparées. La compassion agit par l’intelligence, et ne peut jamais agir par l’intellect. La compassion est l’essence de la totalité de la Vie.
Lettres aux écoles, 31. Courrier du livre, p. 95-96.