D.B. : Oui, mais pourrions-nous revenir à la question de l’esprit et du cerveau ? Selon nous, il n y a pas de division entre eux.
K : Oh non, il n’y a pas de division.
D.B. : Ils sont en contact - c’est bien cela ?
K : Nous avons dit qu’il y avait contact entre l’esprit et le cerveau lorsque l’esprit est silencieux, et qu’il a de l’espace.
D.B. : Donc, bien qu’ils soient en contact, et absolument pas divisés, l’esprit peut cependant être relativement indépendant du conditionnement du cerveau.
K : Là, il faut être prudent ! Supposons que mon cerveau ait été conditionné : par exemple, j’ai été programmé pour être hindou ; toute mon existence, tous mes actes sont conditionnés par l’idée que je suis hindou. L’esprit n’a de toute évidence aucun lien avec ce condionnement-là.
D.B. : Vous dites « l’esprit », pas « mon » esprit.
K : Ce n’est pas « mon » esprit, l’esprit ne m’appartient pas.
D.B. : Il est universel, général.
K : Oui et le cerveau n’est pas non plus « mon » cerveau.
D.B. : Non, mais il existe pourtant des cerveaux individuels, il y a ce cerveau-ci ou celui-là. Diriez-vous qu’il existe un esprit individuel ?
K : Non.
D.B. : Cette distinction est capitale. Selon vous, l’esprit est réellement universel.
K : L’esprit est universel - si l’on peut se permettre cette vilaine expression.
D.B. : Il est illimité.
K : Il est vierge de toute pollution, il n’est pas pollué par la pensée.
D.B. : Je crois que pour la majorité d’entre nous, il sera difficile d’expliquer comment on peut connaitre quoi que ce soit de cet esprit. Au premier abord, c’est « mon » esprit que je perçois et c’est tout ce que nous savons, n’est ce pas ?
K : Mais vous ne pouvez pas dire qu’il s’agisse de « votre » esprit ; vous avez une seule chose : votre cerveau, qui est conditionné. Rien ne vous permet de dire : « C’est mon esprit. »
D.B. : Mais j’ai l’impression que tout ce qui se passe à l’intérieur de moi-même m’appartient, et que c’est très différend de ce qui se passe à l’intérieur d’un autre.
K : Non. Je conteste que ce soit différent.
D.B. : En tout cas cela a l’air différent.
K : Oui, je conteste l’idée que ce qui se passe en moi en tant qu ’être humain soit différent de ce qui se passe en vous, qui êtes mon semblable.
Nous sommes tous deux en proie à toutes sortes de problèmes et de souffrances, nous connaissons la peur, l’angoisse, la solitude, etc. Nous avons nos dogmes, nos croyances, nos superstitions. Comme tout le monde.
D.B. : On peut dire qu’il y a beaucoup de similitudes, mais il semble que chacun d’entre nous soit isolé des autres.
K : Par la pensée. Ma pensée m’a fait croire que je suis différent de vous, parce que mon corps est différent du vôtre, que mon visage est différent du vôtre. Nous élargissons cette notion de différence au domaine psychologique.
D.B. : Pourquoi ne pas dire tout de suite que cette division n’est peut-être qu’une illusion ?
K : Non, pas « peut-être » ! C’en est une !
D.B. : C’est une illusion. Admettons-le - bien qu’à première vue ce ne soit pas évident.
K : Bien sûr.
D.B. : En réalité, même le cerveau n’est pas divisé, car nous sommes non seulement tous semblables, mais véritablement connectés les uns aux autres. Et puis, au-delà de tout cela, il y a l’esprit, qui est indivisible.
K : Et qui n’est pas conditionné.
D.B. : Ce qui suggérerait, semble t-il , que dans la mesure où un individu se perçoit comme un être distinct, il a de ce fait très peu de contact avec l’esprit.
K : Très juste, c’est ce que nous avons dit.
D.B. : L’esprit est absent.
K : Voilà pourquoi l’essentiel n’est pas de comprendre l’esprit, mais notre conditionnement. Et il est essentiel de savoir si notre conditionnement - ce conditionnement commun à l’humanité - pourra jamais s’effacer. Voilà la vraie question.
Extrait de l’Avenir de L’humanité
Le 20 juin 1983
dans « L’esprit et la pensée »
(D.B. : David Bohm)