L’autre jour, comme nous nous promenions sur un chemin boisé, isolé, loin du bruit et de la brutalité vulgaire de la civilisation, loin de tout ce que l’homme a construit, régnait, enveloppant toutes choses, ce grand calme, distant, empli de la résonance de la terre.
Nous marchions en silence, pour ne pas déranger les êtres de la nature environnante - les buissons, les arbres, les criquets, les oiseaux. Dans un tournant, deux minuscules créatures se querellaient. Elles se battaient petitement, à leur façon. L’une essayait de chasser l’autre, intruse qui cherchait à pénétrer dans un trou dont la propriétaire défendait l’accès. Finalement cette dernière sortit victorieuse, et l’autre bête détala. De nouveau, ce calme, et un sentiment de profonde solitude. En levant les yeux, on voyait le chemin grimper haut dans les montagnes, et on percevait, non loin du sentier, le doux murmure du torrent ; c’était d’une grande beauté et d’une gravité infinie qui n’a rien à voir avec la dignité si orgueilleuse et arrogante à laquelle l’homme prétend.
Le petit animal s’était identifié à son territoire, comme nous, êtres humains, le faisons. Nous nous évertuons à nous identifier à notre race, à notre culture, à ces choses auxquelles nous croyons, à un personnage mystique ou à un sauveur, une forme d’austérité supérieure. Il semble être dans la nature de l’homme de vouloir s’identifier à quelque chose. Peut-être héritons-nous ce sentiment du petit animal.
J. Krishnamurti
Dernier Journal
Mardi 10 mai 1983 (p.16-17)