Ceci étant notre dernière causerie nous aurons à étudier ce matin plusieurs choses à la fois et, même si nous n’entrons pas beaucoup dans les détails, nous aurons à parler de sujets qui méritent d’être traités avec sérieux.
Les paroles sont chose nécessaire pour communiquer, on les utilise par force ; mais il peut n’exister qu’une communication sur le plan verbal ou il peut y avoir une communion, chose entièrement différente d’une simple absorption de paroles. Etre en communion implique, n’est-il pas vrai, se rencontrer au même niveau, au même instant avec la même intensité ; autrement nous ne communions pas. Verbalement nous pouvons comprendre, entendre une série de mots, chercher à les traduire en fonction de notre propre fond, comparant, jugeant, pesant. Mais la communion est une chose entièrement différente ; elle surgit quand le coeur et l’esprit à la fois se rencontrent, quand on aborde l’autre personne avec la même qualité d’intensité, de plénitude et d’urgence - il y a alors une communion qui dépasse les paroles. Mais la plupart d’entre nous sommes les instruments du mental au point que nous nous cramponnons aux paroles qui ont pris une importance si prépondérante ; et pourtant la parole, le symbole n’est jamais la réalité. Si nous voulons communier ensemble ce matin il nous faut, à ce qu’il me semble, nous rencontrer, non pas au niveau verbal et intellectuel, mais plutôt examiner ensemble des problèmes qu’il est très important de comprendre et de transcender.
Donc, le sujet de notre conversation exige une grande pénétration non point verbale, mais réelle, parce que la parole n’est jamais la réalité, la chose elle-même. Quand nous prononçons le mot « porte », le mot n’est pas véritablement la porte, il nous faut la toucher pour en sentir la substance, le grain et jamais le mot ne peut nous transmettre ces choses. Un mot tel que « souffrance » n’est pas ce tourment, cette douleur, cette anxiété et la peur qu’évoque le mot. Aller au-delà de la douleur, y mettre fin est un de nos problèmes principaux, peut-être le plus essentiel ; car un esprit qui souffre vit à jamais dans la nuit ; il est incapable de voir très clairement, il vit toujours dans la confusion. Comprendre et par la compréhension mettre fin à la souffrance, exige une grande attention ; il ne faut jamais oublier un instant que le mot n’est jamais la chose, avec sa douleur, son désespoir, son absence d’amour, son sentiment de solitude et son pernicieux apitoiement sur soi.
Au seuil du silence. Pages 53 et 54. Chapître V. Editions Le courrier du livre.1992. Nouvellement réédité.