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On doit mourir à la mort ; alors seulement naît l’innocence, alors seulement le neuf intemporel entre en existence.



La méditation est l’action du silence. Nos actions émanent d’opinions, de déductions, de connaissances, ou d’intentions spéculatives. Elles aboutissent nécessairement à des contradictions agissantes, entre ce qui est et ce qui devrait être, ou ce qui a été. L’action qui émane du passé qu’on appelle le savoir est mécanique. Elle est capable de s’adapter et de se modifier, mais ses racines demeurent dans le passé. Ainsi, l’ombre du passé recouvre toujours le présent. Dans ses rapports, une telle action résulte d’images, de symboles, de conclusions ; les relations deviennent alors des choses du passé, extraites de la mémoire, et non des choses vivantes.

Les activités issues de ces bavardages, de ce désarroi, de ces contradictions, vont leur chemin, réduisent en morceaux des cultures, des communautés, des institutions sociales, des dogmes religieux. A travers ce bruit incessant, la révolution d’un nouvel ordre social est présentée comme si elle était quelque chose de réellement neuf, mais comme elle procède du connu au connu, elle n’est pas du tout un changement. Il n’y a de changement possible que par la négation du connu ; alors l’action n’est pas conforme à une idéation, mais naît d’une intelligence en perpétuel renouvellement.

L’intelligence n’est pas un discernement, ou un jugement, ou une évaluation critique. Être intelligent c’est voir ce qui est. Or ce qui est, change constamment, donc une vision qui se fixe dans le passé cesse d’être intelligente. Le poids mort de la mémoire dicte alors l’action, non l’intelligence de la perception. La méditation consiste à voir tout cela d’un coup d’oeil. Et pour voir il faut le silence, et de ce silence découle une action totalement différente des activités de la pensée.

Il avait plu toute la journée et de chaque feuille, de chaque pétale, tombaient des gouttes d’eau. Le torrent avait gonflé et l’eau claire était partie ; elle était maintenant boueuse et rapide. Seuls étaient actifs les moineaux, les corneilles et les grandes pies noires et blanches. Les montagnes étaient cachées par les nuages et les collines basses étaient à peine visibles. Il n’avait pas plu depuis quelques jours et l’odeur de la pluie récente sur la terre sèche était une joie. Si vous aviez été dans des pays tropicaux où il ne pleut pas pendant des mois et où chaque jour un brillant soleil chaud parcheminé la terre, alors, avec les premières pluies, vous humeriez la fraîche pluie tombant sur la vieille terre stérile, comme une joie entrant jusqu’au plus profond de votre cœur. Mais ici, en Europe, il y avait un parfum d’une autre sorte, plus aimable, moins fort, moins pénétrant. C’était comme une crise qui bientôt passerait.

Le jour suivant, tôt le matin, le ciel était d’un beau bleu et tous les nuages étaient partis. Il y avait une neige étincelante sur les sommets, de l’herbe fraîche dans les vallées, et mille nouvelles fleurs printanières. C’était une matinée pleine d’une indicible beauté ; et l’amour était sur chaque brin d’herbe.

C’était un cinéaste très connu, et, ce qui était surprenant, sans vanité. Il était au contraire très amical, prêt à sourire. Ses nombreux films avaient eu beaucoup de succès et maintenant on les copiait. Comme tous les cinéastes très sensibilisés, il s’intéressait surtout à l’inconscient avec ses rêves fantastiques et aux conflits susceptibles d’être mis en film. Il avait étudié les dieux des analystes et avait pris lui-même des drogues à des fins expérimentales.

L’esprit humain est lourdement conditionné par la culture dans laquelle il vit - par des traditions, par des conditions économiques et surtout par des propagandes religieuses. L’esprit refuse énergiquement de s’assujettir à un dictateur ou à la tyrannie de l’État et se soumet pourtant volontiers à la tyrannie de l’Église ou de la Mosquée ou du dernier dogme à la mode qui concerne la psychiatrie. Il invente avec habileté - constatant de telles détresses - un nouvel Esprit Saint ou un nouvel Atman qui ne tarde pas à devenir l’image qu’on est censé adorer.
L’esprit humain qui a produit tant de ravages dans le monde, est fondamentalement effrayé par lui-même. Comme il connaît le point de vue matérialiste de la ’science, ses succès, son emprise grandissante sur les esprits, le voici qui commence à élaborer une nouvelle philosophie. Les philosophies d’hier cèdent la place à de nouvelles théories, mais les problèmes fondamentaux de l’homme demeurent sans solutions.

Au milieu de la confusion des guerres, des dissensions, des égoïsmes implacables, la mort, élément majeur, est là. Les religions, des plus anciennes aux plus récentes, ont conditionné l’homme en fonction de dogmes, d’espoirs et de croyances qui fournissent à ce sujet des réponses toutes faites. Mais la mort ne trouve pas de réponse dans la pensée, dans l’intellect. La mort est un fait qu’on ne peut pas contourner.

Il vous faut mourir pour savoir ce qu’est la mort, et c’est, apparemment, quelque chose que l’homme ne peut pas faire, car il a peur de mourir à tout ce qu’il sait, à ses espoirs et à ses visions les plus intimes, les plus profondément enracinés.

Il n’y a, en réalité, pas de demain mais beaucoup de demains sont là, entre le maintenant de la vie et le futur de la mort. L’homme vit avec peur et angoisse dans cet intervalle séparateur bien qu’il ait les yeux toujours ouverts sur l’inévitable. Mais il ne veut même pas en parler et décore les tombes avec toutes les choses qu’il connaît.

Mourir à tout ce que l’on connaît - non pas à une forme particulière de connaissance mais à tout le connu - c’est cela la mort. Inviter le futur - la mort - à assumer tout l’aujourd’hui, c’est la mort totale ; alors il n’y a plus de fossé entre vie et mort. Alors mourir c’est vivre et vivre c’est mourir.

Cela, apparemment, est ce que personne n’a envie de faire. Et pourtant l’homme est toujours à la recherche du neuf, tenant toujours ce qui est vieux dans une main, l’autre main tâtonnant dans l’inconnu, en quête du neuf. Il en résulte le conflit inévitable d’une dualité - le moi et le non-moi, l’observateur et l’observé, le fait et ce qui devrait être.

Ce tumulte cesse complètement avec la fin du connu. Cette fin est la mort. La mort n’est pas une idée, un symbole, mais une affreuse réalité à laquelle vous ne pouvez pas échapper en vous accrochant aux choses d’aujourd’hui, qui sont d’hier, ou en adorant le symbole de l’espoir.
On doit mourir à la mort ; alors seulement naît l’innocence, alors seulement le neuf intemporel entre en existence. L’amour est toujours neuf et le souvenir de l’amour est la mort de l’amour.

La révolution du silence. 1969 . Europe . Partie XVI



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