Krishnamurti : Par où allons-nous commencer ?
David Bohm : Avez-vous des suggestions ?
K : J’ai quantité d’idées. Si la vérité est radicalement différente de la réalité concrète, alors quelle place tient l’action dans la vie quotidienne par rapport au vrai et au réel ? Pouvons-nous évoquer ce thème ?
D.B : Oui.
K : Agir dans la vérité, nous le voudrions, le devrions, ou le devons. Or l’action du réel est tout à fait différente de celle de la vérité. Qu’est-ce donc que cette action propre à la vérité ? Cette action est-elle sans lien avec le passé, avec une idée ou un idéal ? Et par conséquent sans lien avec le temps ? Existe-t-il réellement une action qui soit hors du temps, ou les actions sont-elles au contraire toujours imbriquées dans le temps ?
D.B : Est-il possible de dire que la vérité agit sur le réel ? Autrement dit, bien que la réalité puisse être sans effet sur la vérité, la vérité, elle, a un certain effet sur le réel.
K : Oui. Mais nous voudrions savoir si nous vivons dans la vérité - pas dans le cadre de la vérité telle qu’elle s’applique au réel, mais dans cette vérité qui, elle, n’est pas tirée du réel. La réalité est un processus mental, un mécanisme de la pensée s’appliquant soit à un objet concret, soit à un objet abstrait, soit à un objet déformé, comme dans l’illusion.
En quoi consiste donc une action ancrée dans la vérité ? En quoi consiste une action qui ne serait ni liée à la réalité ni impliquée dans la mouvement du temps ? Pareille action existe-t-elle ? Mon esprit peut-il se dissocier du passé et de l’idée du « je dois être », « je veux être », « je serai », qui n’est autre que la projection de mes propres désirs ? Existe-t-il une action qui soit totalement dissociée de tout cela ?
Les limites de la pensée. Pages 17 et 18. Chapître 1 : Vivre dans la vérité. Editions Stock.1999