Les institutions répandues dans le monde n’ont jamais aidé l’homme. Elles ne représentent que l’organisation matérielle de ses besoins ; les instances de la guerre, de la démocratie, de la tyrannie, comme celles de la religion, ont eu leur jour de gloire, mais elles perdurent, car l’homme a terriblement besoin d’une aide, tant dans son corps que dans son être profond, à cause de la souffrance qui l’étouffe, celle du temps qui passe et des pensées projetées au loin.
Ces institutions existent depuis des temps immémoriaux, mais elles n’ont pas changé l’homme dans son for intérieur. Elles n’ont pas le pouvoir de le transformer profondément sur le plan psychologique. Et l’on se demande pourquoi il les a créées, puisque c’est lui qui a présidé à leurs origines dans l’espoir d’une aide, d’une sorte de sécurité durable. Curieusement, elles ont échoué en cela. Nous ne semblons pas nous rendre compte de ce fait. Nous créons toujours davantage d’institutions, d’organisations, qui s’opposent les unes aux autres.
C’est la pensée qui les invente toutes, et pas seulement les organisations démocratiques ou totalitaires ; la pensée perçoit et comprend aussi que ses créations n’ont pas fondamentalement transformé la structure, la nature du moi. Les institutions, les organisations et toutes les religions ont été élaborées par la pensée, rusée et érudite. Ce que la pensée a créé, suscité, agit à son tour sur sa propre formulation. Et l’on se demande, si l’on est sérieux, honnête dans sa propre recherche, pourquoi la pensée n’a pas pris conscience de sa propre activité. Peut-elle percevoir son propre mouvement ?
Dernier journal. Pages 102 et 103. Samedi 23 avril 1983. Editions du Seuil.Collection Sagesses.1993