Pour mettre fin à cette fragmentation générale, il faut une pénétration intelligente, non seulement en ce qui concerne l’ensemble du monde, mais encore en ce qui concerne l’instrument qu’est la pensée. En particulier, ce qui est nécessaire n’est pas une mesure de la pensée pour déterminer si elle a ou non dépassé ses propres limites ; il faut plutôt qu’il y ait une sorte d’observation d’instant en instant permettant de voir comment la pensée dans sa totalité tend constamment à introduire la mesure dans des domaines où elle n’a que faire.
Ceci exige un acte créateur de perception prenant naissance dans les sens et dans l’esprit, et qui contient sa propre discipline spontanée, laquelle ne dépend ni de l’autorité d’un autre, ni d’une technique imposée pour assurer son ordre ou son maintien propre. Grâce à une méditation comprenant une telle perception et une telle discipline spontanée, la pensée en viendra à fonctionner dans l’ordre, et tout le champ du mesurable sera alors harmonieux, et ainsi capable de se mouvoir parallèlement avec l’immesurable.
Quand règne une telle harmonie, l’homme peut avoir non seulement la perception de ce que signifient la fragmentation et la totalité, mais chose bien plus importante, il peut réaliser la vérité de cette perception dans chaque phase et aspect de sa vie.
Ceci exige, néanmoins, qu’il consacre toutes ses énergies créatrices à l’examen tout entier du champ de la mesure, et qu’il renonce à son désir (généralement implicite et inexprimé) d’une sorte de direction dans sa recherche. Ceci est sans doute extrêmement ardu et difficile. Mais comme tout en dépend, c’est une entreprise qui est hautement digne de toute notre attention, de tous nos soins.
Bulletin n°17 de l’ACK - Printemps 1973