La raison pour laquelle je donne tant d’importance et d’urgence à la psychologie de l’esprit, est que l’esprit est la cause de toute action ; et si l’on ne comprend pas cela, simplement réformer, bricoler, fignoler les actions superficielles, n’a que très peu de sens. Nous avons fait cela pendant des générations et avons engendré la confusion, la folie et la misère dans le monde. Nous devons donc aller à la racine même du problème entier de l’existence, de la conscience, qui est le « je », le penseur. Si l’on ne comprend pas le penseur et ses activités, des réformes sociales superficielles n’ont aucune valeur - du moins pas pour l’homme sérieux, ferme dans sa sincérité. Voilà pourquoi il est important pour chacun de nous de savoir à quoi nous attachons de l’importance, si c’est à ce qui est superficiel, extérieur, ou à ce qui est fondamental.
Car, Messieurs, avec le monde dans une humeur si démente au point d’égorger, de détruire, de déchaîner l’homme contre l’homme, certes, le temps est venu, pour ceux qui sont honnêtes et sincères dans leur dessein, de s’appliquer au problème radicalement et profondément, et de ne pas s’occuper de réformes et d’ajustements superficiels. Voilà pourquoi il est important de savoir par vous-mêmes sur quoi il faut mettre l’accent, et ne pas compter sur un autre pour qu’il vous le dise. Si vous donnez de l’importance à la psychologie du penseur uniquement parce que je le fais, vous ne serez que des imitateurs et l’on pourra vous persuader d’imiter quelqu’un d’autre, lorsque ceci ne vous conviendra pas.
Vous devez donc penser ce problème jusqu’au bout, très sérieusement et très profondément, et ne pas attendre que quelqu’un vous dise à quoi il faut donner de l’importance. Tout cela est très évident et très clair. Les religions organisées, les partis et les pouvoirs politiques, le socialisme, le communisme, tous ont échoué parce qu’ils ne s’occupent pas de la nature fondamentale de l’homme. Ils veulent limer, tailler, rafraîchir les influences du monde extérieur, mais quelle valeur cela a-t-il lorsque l’homme est intérieurement malade, souffrant, confus ? Un bon docteur ne s’occupe pas seulement des symptômes. Les symptômes ne sont que des indications. Il va à la cause et déracine la cause. Ainsi, l’homme sincère et honnête envers lui-même doit aller à la cause et ne pas, superficiellement, jouer avec des mots ; et la cause fondamentale de la misère dans le monde est le manque de compréhension de notre processus interne. Nous ne voulons pas mettre de l’ordre en nous-mêmes, mais seulement à l’extérieur.
Il y aura de l’ordre extérieurement lorsqu’il y aura de l’ordre intérieurement, parce que l’intérieur prédomine toujours sur l’extérieur. Donc l’accent doit, de toute évidence, être mis sur le processus psychologique, avec toutes ses implications. Lorsque l’on se comprend soi-même il y a du bonheur, il y a la paix et un homme heureux n’est pas en conflit avec son voisin. Ce n’est que l’homme infortuné, l’homme ignorant, qui est en conflit ; ses actions sont anti-sociales et partout où il va il crée de la misère et d’autres conflits. Mais un homme qui se comprend lui-même est en paix et, par conséquent, ses actions sont paisibles.
Krishnamurti, à Bombay (en Inde) en 1948.
Extrait de : « De la Connaissance de Soi », Le Courrier du Livre, 1967 - p.143