Quelle différence faites-vous entre ce que vous appelez lucidité ou état de perception et l’introspection ? Et, dans cet état, « qui » est lucide ?
Examinons d’abord ce que nous entendons par introspection. Cela consiste à se regarder, à s’examiner soi- même. Et pourquoi s’examine-t-on ? Pour s’améliorer, pour se modifier, pour changer. Vous vous livrez à l’introspection afin de devenir quelque chose, sans quoi vous n’y passeriez pas tant de temps. Vous ne vous examineriez pas si vous n’aviez pas le désir de vous modifier, de changer, de devenir autre chose que ce que vous êtes. Ce désir est la raison évidente de l’introspection. Je suis coléreux et je m’examine afin de me débarrasser de la colère, ou de la modifier, ou de la changer. L’introspection est l’expression du désir de modifier ou de changer les réactions et les réponses du moi ; elle a donc toujours un but en vue, et lorsque ce but n’est pas atteint, l’on est de mauvaise humeur et déprimé.
Il en résulte que l’introspection s’accompagne invariablement d’un état dépressif. Je ne sais pas si vous avez remarqué que lorsque vous êtes d’humeur à vous livrer à l’introspection, vous subissez toujours une vague de dépression. Il y a toujours cette vague d’humeur chagrine contre laquelle vous bataillez de sorte que vous devez vous réexaminer afin de surmonter cette humeur, et ainsi de suite.
La première et dernière liberté. Page 190.
Chapître 8, sur l’état de perception. Editions Stock