Est-il possible de vivre avec la mort ? Non pas avec morbidité, ni de façon auto destructrice. Pourquoi avons-nous séparé la vie de la mort ? La mort fait partie de notre existence. Le vivant et le mourant sont inséparables et se suivent inexorablement. Pourquoi séparer l’envie, la colère, la tristesse, la solitude et le plaisir que nous éprouvons, de ce qu’on appelle la mort ? Pourquoi les gardons-nous à des miles de distance, des années-lumière les uns des autres ? Nous acceptons la mort d’un vieil homme, qui est naturelle. Mais si quelqu’un de jeune meurt dans un accident, ou atteint d’une maladie, nous nous révoltons contre la mort. Nous disons que c’est injuste, que cela ne devrait pas être. Voilà ce qu’il nous faut examiner, non pas comme un problème, mais en en cherchant et en observant les implications, et sans se faire d’illusions.
Se pose aussi la question du temps - le temps qu’il faut pour vivre, pour apprendre, pour amasser, pour agir, pour faire quelque chose, et puis la fin du temps connu - le temps qui sépare le vivre du finir. Dès qu’il y a séparation, division, entre « ici » et « là », entre ce qui est« et »ce qui devrait être", cela implique le temps. il me semble significatif que nous maintenions la division entre cette prétendue mort et ce que nous appelons la vie. C’est à mes yeux un facteur décisif. La peur surgit lorsqu’il y a une telle séparation. On fait alors un effort pour surmonter cette peur, en recherchant le confort, la satisfaction, un sentiment de continuité. (Il s’agit ici bien sûr du domaine psychologique et non pas de la réalité physique ou technique.) Le moi s’est constitué dans le temps, et il est maintenu par la pensée.
Si seulement nous pouvions nous rendre compte de ce que signifient, sur le plan psychologique, le temps et la division, la séparation des hommes, des races, des cultures, opposés les uns aux autres. Cette séparation provient aussi de la pensée et du temps, comme la division entre vie et mort. Vivre avec la mort dans la vie impliquerait un profond changement dans notre conception de l’existence. Mettre fin à l’attachement sans limite, sans motif, et sans faire intervenir le temps, c’est mourir alors qu’on est encore en vie.
Dernier journal 1983