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De quel genre d’illumination il est question...



Jonas Salk : D’accord, partons de là – de là où nous sommes, d’ici même. Que faisons-nous ?

Krishnamurti : Si je ne commence pas à partir d’ici même, mais de là-bas, je ne peux rien faire. Je commence donc ici même. Et je demande : qui est ce « moi » qui déploie tant d’efforts, qui se bat pour tout cela ? Qui est le « je », qui est l’ego ? Qu’est-ce qui me pousse à agir de la sorte, à réagir comme je le fais ? Vous suivez ?

Jonas Salk : Oh oui, je vous suis parfaitement.

Krishnamurti : Ainsi, je commence à me voir vraiment, pas de manière théorique, mais à travers le miroir des relations que j’entretiens, avec ma femme, avec mes amis ; je vois comment j’agis, comment je pense, et dans cette relation, je commence à voir ce que je suis.

Jonas Salk : Oui, on ne se voit qu’à travers le reflet que nous renvoie l’autre.

Krishnamurti : À travers la relation. Elle peut être empreinte d’affection, de colère, de jalousie. Je découvre, dans tout cela, la créature monstrueuse qui se cache en moi - y compris l’idée selon laquelle il y a en moi quelque chose de hautement spirituel : Je commence donc à faire des découvertes. Je découvre les illusions et les mensonges dans lesquels a vécu l’homme. Et dans cette relation, je vois que si je veux changer je brise le miroir. Ce qui signifie que je mets en pièces tout le contenu de ma conscience. Et de tout cela, de ce contenu réduit en miettes, jaillit peut-être l’amour, la compassion, l’intelligence. Il n’est d’autre intelligence que celle de la compassion.

Jonas Salk : Alors, puisque nous sommes d’accord sur ce que pourrait être l’ultime solution, et sur le fait que c’est ici et maintenant qu’il nous faut commencer...

Krishnamurti : Oui, c’est tout de suite qu’il faut changer, il ne faut pas laisser l’évolution tout ralentir.

Jonas Salk : L’évolution peut commencer maintenant.

Krishnamurti : Oui, si vous voulez, on peut le dire en ces termes. L’évolution au sens où à partir de tout ceci, on arrive à quelque chose qui échappe à toute projection de la pensée.

Jonas Salk : Quand je dis que l’évolution peut commencer maintenant, je parle d’un phénomène de mutation.

Krishnamurti : Une mutation — je suis d’accord. La mutation, ce n’est pas la même chose que l’évolution.

[...]

Jonas Salk : Vous dites, en fait, que nous sommes des êtres à la fois individualisé s et reliés au reste de l’humanité.

Krishnamurti : Non, je dis que vous n’êtes pas un individu. Votre pensée ne vous appartient pas en propre, votre conscience non plus, car tous les êtres humains souffrent, tous passent par de terribles épreuves, des bouleversements, des angoisses, des tortures ; tous les êtres humains aux quatre coins du monde en passent par là. Nous sommes donc des êtres humains ; alors, au lieu de dire : « Je suis un être humain distinct qui est lié à d’autres êtres humains », disons : « Je suis l’humanité tout entière ». Et si je vois ce fait, je ne tuerai jamais personne.

Jonas Salk : Quel contraste frappant avec qui se passe aujourd’hui !

Krishnamurti : Ce qui se passe aujourd’hui ? Je suis un individu, je dois satisfaire mes propres désirs, mes besoins, mes instincts, que sais-je encore, et c’est de là que vient le chaos.

Jonas Salk : Nous cherchons donc à nous transformer, à passer d’un état à un autre.

Krishnamurti : Mais on ne peut pas se transformer.

Jonas Salk : Bon, alors que peut-on faire ?

Krishnamurti : Changer, subir une mutation. On ne peut pas passer d’une forme à une autre. Il vous faut donc voir cette vérité – à savoir que vous êtes l’humanité tout entière. Et alors, monsieur, quand vous le voyez, que vous le sentez – permettez-moi l’expression – dans vos tripes, dans vos veines, alors tout votre comportement, tout votre mode de vie change. La relation que vous instaurez alors ne concerne pas deux images en lutte l’une contre l’autre. C’est une relation vivante, sensible, pleine, inondée de beauté. Mais nous voici à nouveau revenus à l’exception.

[...]

Krishnamurti : Et la compassion ne saurait être élaborée par la pensée.

Jonas Salk : Elle existe, un point c’est tout.

Krishnamurti : Mais comment peut-elle exister si j’ai la haine au coeur, si je veux tuer quelqu’un, si je me lamente sur mon sort ? Il faut être affranchi de tout cela pour que naisse cette « autre chose ».

Jonas Salk : Je reviens à présent à ces êtres exceptionnels, qui font l’objet de toute mon attention. Ces êtres-là ont-ils de la haine au fond du cœur ?

Krishnamurti : Mais monsieur, c’est comme le soleil, le soleil n’est ni à vous ni à moi. Nous le partageons. Mais dès l’instant où c’est mon soleil, tout devient si puéril. Donc, vous ne pouvez qu’être comme le soleil, me donner la compassion, l’amour, l’intelligence, et rien d’autre – sans jamais dire : « Faites ceci, ne faites pas cela » – car sinon je tombe dans le piège que nous tendent toutes les religions, toutes les Églises. La liberté, monsieur, cela veut dire être sorti de la prison – la prison où l’humanité s’est enfermée elle-même. Et vous qui êtes libres, soyez simplement là. C’est tout. Il n’y a rien d’autre que vous puissiez faire.

Jonas Salk : Ce que vous dites là me paraît extrêmement positif, extrêmement important et d’une grande portée. Si j’entends bien, vous dites qu’il y a des gens, qu’il existe un groupe d’individus qui possèdent ces qualités propres à susciter quelque chose qui pourrait aider toute l’humanité.

Krishnamurti : Mais, voyez-vous, tant de notions ont cours – je ne m’y attarderai pas, cela nous éloignerait trop du sujet – selon lesquelles il existe des gens qui sont là pour aider les autres (et non pour les guider), des gens qui vous disent ce qu’il faut faire, que l’on tombe très vite dans l’absurde. Alors qu’il s’agit simplement d’être comme le soleil, comme l’astre solaire diffusant la lumière. On s’assoit au soleil si l’on en a envie ; dans le cas contraire, on reste à l’ombre.

Jonas Salk : Voilà donc de quel genre d’illumination il est question.

Krishnamurti : Voilà effectivement ce qu’est l’illumination.

Extraits de « Quelles sont vos préoccupations essentielles ? » du livre « Krishnamurti En Questions »



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