Krishnamurti : Par quoi allons-nous commencer ?
David Bohm : Vous avez dit, je crois - si j’ai bien compris - , que notre processus mental, s’il est sain et en bon ordre,
peut avoir pleinement conscience de l’action de la vérité et évoluer en harmonie avec elle. En revanche, si le processus de pensée subit des distorsions et un conditionnement, cette prise de conscience ne peut pas se faire, mais la vérité peut cependant avoir un impact physique réel sur les cellules du cerveau.
K : A votre avis, est-ce vrai ?
D.B : Je n’en sais rien, nous essayons de creuser la question.
K : Personnellement, j’ai l’impression que c’est vrai.
D.B : Le cerveau est une entité matérielle. La matière existe, elle a une réalité tangible, distincte de la pensée, mais nous la connaissons mal. Seuls certains de ses aspects sont connus de nous, les arcanes de la matière sont une énigme et le demeureront peut-être à jamais, même si nos connaissances progressent. Le cerveau, étant fait de matière, a tous les attributs constitutifs de la matière. Mais ces profondeurs secrètes et inconnues où la pensée jaillit de la matière restent pour nous impénétrables.
La pensée a subi des conditionnements successifs au fil du temps, dus pour une part à l’hérédité et pour une autre à la tradition, à la culture et à l’environnement. La pensée a été rodée à s’illusionner, à falsifier, à déformer. E t tout cela est inscrit dans la structure matérielle du tissu cérébral. En un certain sens, ce conditionnement constitue
une forme subtile de dégradation du cerveau.
Le conditionnement fait que nous accordons une grande importance à la pensée, au moi, au centre qui est l’égo. Il surcharge le cerveau, le déforme et finit peu à peu par l’endommager.
K : Voulez-vous dire par là que lorsque le cerveau est soumis à des contraintes excessives, en raison du contexte économique, de l’environnement social...
D.B : ... de la peur et de la souffrance...
K : ... et de tout ce qui échoit aux êtres humains, les cellules cérébrales seraient endommagées ? Oui, cette hypothèse me paraît valable....
Les limites de la pensée. Pages 149 et 150.
Chapître : La tradition et la vérité. Editions Stock. 1999,