Pourquoi cette soif, ce désir d’identification ? L’identification aux besoins du corps est compréhensible la nécessité de vêtements, de nourriture, d’un abri, etc. Mais intérieurement, nous cherchons à nous identifier au passé, à la tradition, à une lubie romantique ou à un vénérable symbole. Et cette identification nous donne sûrement un sentiment de sécurité, une assurance, une impression d’appartenance et de possession. Cela est d’un grand réconfort. Nous trouvons la sécurité dans toutes les formes d’illusion, et l’homme a apparemment besoin de nombreuses illusions.
On entend au loin le hululement de la chouette, puis une réponse gutturale, venue de l’autre versant de la vallée. C’est encore l’aube. Les bruits du jour
n’ont pas commencé et tout est calme. Il se passe quelque chose d’étrange et de sacré, là où le soleil se lève, comme une prière, un hymne à cette lueur
sereine. Ce matin-là, la lumière était contenue. Il n’y avait pas de brise. La végétation, les arbres, les buissons, tout était paisible, immobile, en attente. Le soleil ne se lèverait pas avant au moins une demi-heure, et l’aurore couvrait lentement la terre d’une étrange immobilité.
Caressé par le soleil, doré, tout de clarté, le plus haut sommet de la montagne s’illuminait peu à peu, et la neige était pure, encore intacte à la lumière du jour.
Et comme nous gravissions la pente, laissant plus bas les sentiers de village et le bruit de la terre, les criquets, les cailles et tous les oiseaux commencèrent à chanter leur hymne matinal, leur adoration de la journée nouvelle. Tandis que le soleil se levait, l’être se confondait avec cette lumière, abandonnant toutes les constructions de la pensée. Il s’oubliait complètement, le psychisme vidé de ses luttes et de ses douleurs. Dans cette montée, cette escalade, nous n’avions plus la sensation d’être séparés, ni même celle d’être humains.
J. Krishnamurti
Dernier Journal
Mardi 10 mars 1983 (p.17-18)