La vertu ne vient pas de l’esprit, mais du cœur. Quand l’esprit cultive la vertu, c’est du calcul ; c’est de l’autodéfense et un moyen habile de s’adapter au milieu. La perfection du moi est exactement le contraire de la vertu. Comment peut-il y avoir de la vertu s’il y a de la peur ? La peur vient de l’esprit, non du cœur. La peur se cache sous des masques divers : vertu, respectabilité, adaptation, bons offices, etc. La peur existera toujours dans les rapports humains et les activités de l’esprit.
L’esprit n’est pas distinct de ses activités ; mais il est poussé à s’en distinguer, à s’attribuer la continuité et la permanence. De même qu’un enfant fait des exercices au piano, de même l’esprit pratique hypocritement la vertu dans le but de pouvoir dominer les situations de l’existence et d’avoir le sentiment de sa permanence, ou pour atteindre ce qu’il considère comme une forme de vie suprême. Il faut être vulnérable pour affronter la vie, et non se retrancher derrière le mur respectable de la vertu. On ne peut pas atteindre à la vie suprême ; il n’y a pas de chemin pour y conduire, et toute Progression dans ce sens est illusoire. La vérité doit venir, vous ne Pouvez pas aller à la vérité, et ce n’est pas la pratique de vos vertus qui vous en rapprochera. Ce que vous atteignez n’est pas la vérité, mais la projection de vos propres désirs ; et c’est dans la vérité seulement que se trouve le bonheur.
Cette habile faculté d’adaptation que possède l’esprit et son besoin de se perpétuer entretiennent la peur. Ce n’est pas pratiquer les vertus qui importe, mais comprendre l’origine de cette peur. Un esprit timoré peut pratiquer les vertus, il n’en restera pas moins toujours un esprit timoré. La vertu est pour lui un moyen d’échapper à sa petitesse, et les vertus qu’il acquerra seront, elles aussi, insignifiantes. Si l’esprit n’a pas conscience de sa petitesse, comment peut-il espérer toucher la réalité ? Comment un esprit vertueux et insignifiant pourrait-il s’ouvrir à l’incommensurable ?
Si l’on comprend le mécanisme de l’esprit, qui est le moi, la vertu se manifeste. La vertu n’est pas un rempart, elle est la conscience spontanée et la compréhension de ce qui est. L’esprit ne peut pas comprendre ; il peut traduire en actes ce qui est compris, mais il est incapable de compréhension. Pour comprendre, il faut qu’il y ait la chaleur de la reconnaissance et de la réceptivité, que seul le cœur peut émettre lorsque l’esprit se tait.
Mais le silence de l’esprit ne résulte pas d’un habile calcul. Désirer le silence, c’est encore être pris dans l’engrenage des réalisations, avec tous les conflits et toutes les souffrances qu’implique une telle attitude. Désirer être ceci, désirer ne pas être cela, c’est, dans les deux cas, refuser la vertu du cœur. La vertu n’est pas le conflit et la réalisation, la pratique prolongée et le résultat, mais un état qui n’est pas la conséquence d’une projection du désir. Si l’on s’efforce d’être, l’être n’est pas.
Dans l’effort pour être, il y a résistance et refus, mortification et renoncement ; mais résistance et refus, mortification et renoncement n’engendrent pas la vertu. La vertu est la paix que donne la cessation du désir d’être, et cette paix vient du cœur, non de l’esprit. Par les exercices, les obligations et les interdictions, l’esprit peut connaître le repos, mais une telle discipline détruit la vertu du cœur, sans laquelle il n’y a pas de paix, pas de bonheur ; car la vertu du cœur est connaissance. - Jiddu Krishnamurti
La vertu - Commentaire sur la vie tome 1