En vue de transcender cette indicible souffrance humaine, nous passons notre temps à nous quereller au sujet de savoir quels livres sont plus sacrés que d’autres. C’est un manque si total de maturité !
« Alors vous devez rejeter la tradition... La rejetez- vous ? »
Reporter le passé sur le présent, traduire le mouvement du présent en termes du passé, c’est détruire la vivante beauté du présent. Ce pays, comme presque tous les pays, est surchargé de traditions, retranché dans les enceintes de ses villages. Il n’y a rien de sacré dans une tradition, ancienne ou moderne.
Le cerveau est porteur de la mémoire des temps passés lesquels sont surchargés de traditions, et a peur de tout lâcher, car il ne peut pas faire face au neuf.
La tradition devient une sécurité et lorsque l’esprit se sent à l’abri, il se corrompt. On doit entreprendre le voyage sans fardeau, détendu, sans aucun effort, sans jamais s’arrêter à aucun autel, à aucun monument à la mémoire d’aucuns héros, laïc ou religieux - on doit être seul, avec la beauté et l’amour.
« Mais nous autres moines, sommes toujours seuls, n’est-ce pas vrai ? demanda-t-il, j’ai renoncé au monde et j’ai fait voeu de pauvreté et de chasteté. »
Vous n’êtes pas seul, monsieur, car votre voeu même vous lie - ainsi que son voeu lie celui qui se marie. Si vous permettez qu’on vous le signale, vous n’êtes pas seul parce vous êtes un hindou, de même que vous ne seriez pas seul si vous étiez bouddhiste, musulman, chrétien ou communiste.
Vous êtes engagé, et comment un homme serait-il seul lorsqu’il est engagé, lorsqu’il s’est consacré à une idéation qui régit son activité ? Le mot même : « seul » désigne ce qu’il dit : non influencé, innocent, libre et entier, non mis en pièces. Lorsqu’on est seul, on peut vivre dans le monde, mais on sera toujours au dehors. Cet état est le seul qui puisse donner lieu à une action complète et à une vraie coopération ; car l’amour est toujours entier.
La révolution du silence. Pages 96 et 97. Chapître 14. Dialogue. Editions Stock. 1994