Pour explorer en profondeur et dans toutes ses dimensions le problème de la mort, et d’une manière qui ne soit pas théorique, mais factuelle, il faut de l’humilité. Ce terme d’humilité, je ne l’emploie pas pour désigner une vertu que cultivent les vaniteux, les orgueilleux, mais pour définir cet état d’esprit naturel qui se manifeste lorsqu’on mène une enquête authentique, et qu’on est animé d’un réel désir de découverte personnelle. Car la vertu ne fleurit pas dans l’enceinte étroite du temps. C’est une fleur qui éclôt sans l’avoir cherché. Il ne faut pas solliciter la vertu, ni la cultiver.
Car alors, elle cesse d’être vertu. Pour voir l’évidence de cette vérité - que la vertu se perd si on la cultive -, il faut que l’esprit soit en état d’humilité, car sans humilité, impossible d’apprendre. Je n’emploie pas le mot apprendre au sens de l’accumulation de connaissances, c’est-à-dire du savoir. J’emploie le terme apprendre pour définir un esprit qui ne cherche pas à accomplir un dessein, qui n’est pas animé d’un mobile, mais qui est un esprit souple, vif, capable de voir immédiatement ce qui est vrai. Et pour ce faire, il faut une humilité extraordinaire, qui englobe cette qualité particulière qu’est l’austérité dans l’observation. L’austérité telle que nous la connaissons est dure, brutale ; elle se fait même bornée, sectaire, dogmatique - mais ce n’est pas cela l’austérité. Nous employons ce terme d’austérité pour signifier que l’esprit qui a observé, qui a vu ce qui est vrai, entre, à la suite de cette observation, dans un état de liberté débouchant sur une discipline qui est austère.
Il faut qu’il y ait cette austérité doublée d’humilité, et c’est à ce niveau-là que va s’instaurer une communion de vous à moi.
De la vie et de la mort. Pages 179 et 180. New Delhi, le 6 novembre 1963. Editions du Rocher. 1994