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Ce rejet constant de petites choses, ces petits coups de balai, ces petits effacements, c’est cela qui est essentiel et non pas une grande négation spectaculaire.



K. : Comment voyez-vous cette fleur ? Comment en voyez-vous la beauté ? Comment y êtes-vous sensible ? Si complètement que votre vision d’elle ne laisse aucun souvenir résiduel de sorte que si vous la revoyez dans une heure, ce sera pour vous comme une fleur entièrement nouvelle ? Ce n’est pas possible si, pour vous, cette vision est une sensation, une sensation associée à l’idée de fleur et de plaisir.
La méthode traditionnelle, c’est de refuser tout ce qui est agréable et cause de plaisir, parce que de telles associations éveillent de nouvelles formes de plaisir et, par conséquent, vous vous disciplinez en vous obligeant à ne pas regarder.

Couper court à toutes les associations, comme avec un bistouri, témoigne d’un manque de maturité.

Alors, comment l’esprit, comment les yeux peuvent-ils percevoir l’intensité étonnante de la couleur et malgré cela, ne pas en garder l’empreinte ?

Je ne suis pas à la recherche d’une méthode mais comment un tel état d’esprit peut-il prendre naissance ? Parce qu’autrement, on ne peut pas être sensible. C’est comme une plaque photographique qui recevrait des impressions et qui se renouvellerait d’elle-même. Elle est exposée et néanmoins, elle devient négative, prête à recevoir l’impression suivante. Donc, à tout instant, il y a la purification de chaque plaisir. Cela est-il possible ou bien est-ce que nous nous amusons avec des mots tandis que nous négligeons les faits ?

Un fait que je vois très clairement, c’est que le résidu de toute sensibilité, de toute sensation émousse l’esprit. C’est alors un fait que je rejette mais, d’un autre côté, je ne connais pas l’état d’une extraordinaire sensibilité, où l’expérience ne laisse derrière elle aucune marque, et pourtant, j’ai vu la fleur dans toute sa plénitude, dans son immense intensité. Je vois comme un fait indéniable que toute sensation, tout sentiment, toute pensée, laissent subsister leurs empreintes, modèlent l’esprit et ne peuvent que rendre impossible l’apparition de l’esprit nouveau.

Je vois que d’avoir un esprit empreint de marques, c’est la mort, aussi je rejette la mort. Mais je ne connais rien d’autre. Je vois aussi qu’un esprit bien fait possède la sensibilité sans le résidu de l’expérience. Il passe par une expérience mais celle-ci ne laisse aucune trace susceptible de devenir la cause de nouvelles expériences, de nouvelles conclusions, d’une nouvelle mort.

Une façon de faire, je la rejette, et l’autre, je ne la connais pas. Comment cette transition entre le rejet du connu et l’inconnu peut-elle prendre naissance ?

Comment fait-on pour ainsi nier, rejeter ?

Est-ce que l’on rejette le connu, non pas à l’occasion d’incidents dramatiques mais au cours d’incidents minimes ?

Est-ce que je le rejette quand je me rase le matin et que je me souviens de mon séjour délicieux en Suisse ? Est-ce que l’on rejette le souvenir d’un incident agréable ? Est-ce que l’on en prend conscience pour le rejeter ? Ce n’est pas là un incident dramatique ni spectaculaire, personne n’y prête attention.

Néanmoins, ce rejet constant de petites choses, ces petits coups de balai, ces petits effacements, c’est cela qui est essentiel et non pas une grande négation spectaculaire.
Il est essentiel de nier la pensée sous forme de souvenirs, agréables ou pénibles, et cela à chaque instant de la journée, à mesure qu’ils surgissent. On ne le fait pas à cause d’un mobile quelconque, et pas pour pénétrer dans un état extraordinaire que l’on appelle l’inconnu."

Krishnamurti. Réponses sur l’éducation. Le Rejet véritable



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