J’ai compris. Je vois que cette préoccupation au sujet de la liberté - d’une liberté qui ne serait pas une formule, une conclusion - n’est pas en elle-même la liberté, d’accord ? L’esprit se dit : « Si ce n’est pas la liberté, qu’est-ce alors ? » Et il répond : « Je ne sais pas ».
Il voit que tout en ne sachant rien, il s’attend à savoir. Quand j’affirme que je ne sais pas ce qu’est la liberté, il y a en moi une attente, l’espoir que je pourrais le découvrir. Cela signifie que l’esprit ne se dit pas réellement qu’il ignore, mais qu’il attend qu’il se passe quelque chose.
Cette attitude, je la vois et je la rejette.
Donc, vraiment, je ne sais pas.
Je n’attends rien, je ne suis pas venu dans l’expectative. Je n’espère pas que quelque chose se passe, qu’une réponse vienne d’un agent extérieur. Je n’attends rien du tout. La voilà, la clé. Elle est là.
Je sais que ce que j’ai ici, ce n’est pas « cela ». Ici, il n’existe aucune liberté. Il y a des réformes, mais pas de liberté. Jamais une réforme ne pourra apporter la liberté. Et pourtant l’homme se révolte contre l’idée qu’il ne sera jamais libre, qu’il est condamné à vivre dans ce monde. Ce n’est pas le mental, l’intellect qui est en révolte contre cette idée, mais c’est tout l’organisme, la perception tout entière. D’accord ?
Et par conséquent, j’en viens à constater que puisque ceci n’est pas la liberté, je ne sais pas ce qu’est la liberté. Je n’attends rien, n’espère rien et n’essaie même pas de découvrir ce qu’est la liberté. Véritablement, je ne sais pas. Cet état de non-savoir est la liberté. Savoir est une prison. C’est parfaitement juste.
Je ne sais pas ce qui va se passer demain. Et par le fait même, je suis libéré aussi de tout le passé, libéré de ce domaine. Connaître ce domaine, c’est la prison, mais ne pas le connaître, c’est aussi la prison.
Monsieur, regardez. Je connais hier. Je sais ce qui s’est passé hier. C’est la connaissance de ce qui s’est passé hier qui est la prison. Ainsi, l’esprit qui vit dans un état de non savoir est un esprit libre, d’accord ?
De la liberté. Pages 159 et 160. Madras, le 16 janvier 1971. Editions du Rocher