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Des phrases de Krishnamurti dans le métro de Londres

Un article publié dans le Financial Times le 25 octobre 2013


Quand moins est plus

Par Harry Eyres

« Je ne suis pas sûr de savoir comment les passagers du métro répondront à des phrases telles que « La vérité est un pays sans chemin »

Un thérapeute ou un philosophe, qui vous plonge dans un moment de confusion, doit-il viser à vous faire vous sentir mieux dans votre peau ou provoquer une déconstruction radicale de votre personnalité, de toute la structure de votre esprit ?

Il y a probablement un temps et un lieu pour les deux. Quand Carl Rogers a développé ce qu’il a été convenu d’appeler « la thérapie centrée sur la personne », il a réagi contre ce qu’il considérait être la négativité excessive de l’école freudienne, contre l’obsession de celle-ci envers les côtés sombres, incestueux, sans pitié et auto-gratifiant de la nature humaine.

Il croyait que le regard positif inconditionnel du thérapeute pour le patient conduirait ce dernier à une forme bénigne de réalisation de soi. Les freudiens accuseraient Rogers et son école de sous-estimer sérieusement le pouvoir de l’inconscient et les tendances destructrices de la personnalité humaine.

Mais cela ne va pas être une colonne consacrée à la psychothérapie, sauf dans un sens plus large voyant la philosophie et la thérapie partager un but commun. Je pense toujours que le penseur le plus radical, avec lequel je me suis engagé est J.Krishnamurti. Choisi quand il était garçon dans le sud de l’Inde en tant que futur « Instructeur du Monde » par la Société Théosophique (Cet étrange mélange de pensée sociale progressiste et de mysticisme.), Krishnamurti a rompu avec cette dernière pour devenir un penseur indépendant, conférencier et pédagogue : un philosophe entendu davantage dans le sens des anciens Grecs que dans le sens moderne. Tout comme Socrate, il aimait à dialoguer, et il eut des entretiens avec certains des plus éminents écrivains et scientifiques de son époque, y compris David Bohm, Aldous Huxley et Iris Murdoch.

Les mois passent sans que je pense consciemment à Krishnamurti, peut-être que je l’évite délibérément, car il est indéniablement dérangeant. Mais quand je m’implique réellement envers ses idées, l’effet est toujours vivifiant . C’est maintenant le bon moment pour revenir à lui, parce que, dans une initiative que vous pourriez voir ou bien comme chimérique ou bien inspirée, la Fondation Krishnamurti a placé une sélection de cinq citations du philosophe sur 27 sites d’affichage dans le métro de Londres, où ils resteront jusqu’au 3 Novembre 2013.

J’aime le design sobre de ces annonces, qui, telles qu’elles sont, attirent l’attention sur elles : au minimum comme des artefacts et au maximum sur leur contenu. Elles font l’économie de la couleur et leur police de caractères n’ont rien de compliqué. Il n’est même pas indiqué que ces citations sont de Krishnamurti.

Je ne sais pas comment les passagers du métro seront touchés à la vue de phrases telles que « La vérité est un pays sans chemin », ou « Nous voulons tous être des gens célèbres, et c’est au moment où nous voulons être quelque chose que nous ne sommes plus libres", lorsqu’ils les fixeront du regard de l’autre côté des voies, à la place d’invitations plus familières à siroter du whisky, à visiter les îles lointaines ou souscrire à une assurance voiture moins cher.

Un des aspects particuliers et initialement troublants de l’enseignement de Krishnamurti, c’est qu’il semble vous laisser avec « moins » que vous ne pensiez avoir, et non pas avec « plus ». Ceci va bien sûr à l’encontre de la logique du capitalisme et des garanties implicites de la publicité sur les voies, destinées à compenser la morosité potentielle et la fatigue de la station debout, lorsqu’on est tout seul dans un tunnel sombre avec des promesses de confort terrestre. Tandis que la version de Krishnamurti « plus est moins » va bien au-delà de la décoration intérieure ou de la nouvelle cuisine et va droit au cœur de l’humain avide et insécure.

Que faire si vous avez renoncé à tout, et pas seulement aux biens, mais aux constructions mentales, aux idéologies, aux souvenirs ? C’est cette pensée qui est derrière la citation, « Avoir une rupture totale avec le passé et voir ce qui se passe ». Dans le texte original, ces mots sont précédés des suivants : « Cessez d’être un brahmane, un hindou, un chrétien, un musulman. Cessez votre culte, vos rituels, prenez une retraite complète à l’égard de tout ceci et voyez ce qui se passe » .

Krishnamurti a absolument rejeté toutes les sectes et toutes les religions formelles, comme des agrégats mortels de l’idéologie. « La religion est la pensée gelée de l’homme sur laquelle il construit les temples. " Il est allé encore plus loin : « Quand vous vous qualifiez vous-même ... de musulman ou de chrétien ... vous êtes violent ... vous vous séparez du reste de l’humanité ».

Cela peut sembler une pensée trop extrême. Pourtant, l’excuse d’appartenance à un groupe religieux semble encore admettre la violence dans de trop nombreuses sociétés, alors qu’une telle exclusivité ne serait jamais tolérée dans d’autres domaines que l’on prétend libéraux (ceux de la race, du sexe, ou de la classe).

Le domaine où la pensée de Krishnamurti est, selon moi, la plus forte, la plus radicale et rafraîchissante est l’éducation. En tant que fondateur d’écoles en Europe, en Inde et en Amérique, c’était un sujet proche de son cœur.

Rien ne saurait contraster plus intensément avec les vues dégradées de l’éducation d’aujourd’hui, réduite à un entraînement en vue d’un emploi et à une compétition pour des grades, basé sur la régurgitation de connaissances rassises, que la conception ouverte qu’a Krishnamurti de l’éducation en tant que connaissance de soi. Celle-ci au contraire repose sur une vision de l’être humain non pas considéré comme robot programmable, mais comme source unique de la bonté et de la vérité, car « en chacun de nous ... l’existence tout entière est rassemblée. "

Harry Eires

Voici les phrases affichées : http://kft.org/

Article d’origine paru dans le Financial Times le 25 octobre 2013 :

When less is more by Harry Eires





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